dimanche 24 avril 2016

Exit to Chatagoune-goune

Amours-crayons-bites-enfoncés
dans les tubulures glauques du vent
L'ange a léché le chimpanzé
sur l'autel des agonisants
Clinic-woman-cœur-manivelle
tournant dans le soleil couchant
Ce soir je sors de ma poubelle
pour provoquer tes océans
Cafards-gardiens-d'enfer-casqués
défilant dans mes nuits d'automne
m'accusant de ne plus tricher
devant ta pompe à méthadone
Rue morgue-avenue despérados
dans les barbelés du goulag
Ce soir je sors de mon blockhaus
pour me parfumer à ta vague
Je danse pour toi petite
Je bande pour toi (bis)

Délires-désirs-corps entraînés
dans les brouillards du crépuscule
Parfums-sexy cœurs gominés
tension-danger-sortie-capsule
Jadis cavalier du néant
je reviens en vampire tranquille
dans ta nuit maquiller les blancs
de ton calendrier de petite fille
Je danse pour toi petite
Je bande pour toi (2)

Curieux soleil de plexiglas
dans la vitrine des marchands d'ours
Gyrophares sur mes pataugas
nitroglycérine à la bourse
Filmé par les Mau-Mau
par les stups et les contes de fées
j'planque mon secret sous ta schizo


et m'accroche à ton corps blessé
Amant-mutant matant nos stances
à l'ombre des amours gadgets
j'endors mes cadences en instance
et me balance à ta planète
Inutile d'afficher nos scores
aux sorties des supermarchés
Les dieux sont jaloux de nos corps
nous balayons l'éternité
Je danse pour toi petite
Je bande pour toi (ad lib)



Paroles : Hubert Félix THIEFAINE
Musique : Hubert Félix THIEFAINE / Claude MAIRET




Antépénultième étape de ce voyage qui aura duré officiellement trois ans et demi, bien que commencé il y a des années, ma puce et moi sommes convoquées le 5 juin au Tribunal de Grande Instance afin que les magistrats statuent sur l'opportunité de ma demande de changement de sexe et d'état civil, et surtout qu'ils la confirment. Et comme j'en ai l'habitude depuis le début du parcours, antépénultième tracasserie qui me tombe dessus la veille : un préavis de grève de la part des avocats sera déposé pile-poil le même jour que l'audience, rapport aux nouvelles dispositions de l'aide juridictionnelle, à laquelle je n'ai pas droit puisque je travaille et que pour nous c'est plein tarif. Traduction : c'est râpé pour demain vu qu'aucune affaire ne pourra être traitée à cause de ça, et ça reportera les délibérés aux calendes grecques. Ca en devient presque comique à la longue, et si un scénariste osait te cloquer ça dans les gencives à longueur de séquences, tu crierais au scandale tellement ces accumulations c'est juste pas possible, nan mais ho, et puis quoi encore ? Oui mais bon, tu connais le dicton : impossible, pas français. Remarque, c'est un peu ma faute aussi, j'ai trop tardé à constituer mon dossier alors que j'aurais pu le faire dès le départ au début de l'aventure.

Ah oui, faut que je t'explique ça au fait. Figure-toi qu'une des revendications des gens qui s'expriment pour nous (assoces, collectifs, mouvements...) c'est le changement d'état civil libre et gratuit, ainsi que la fin de "la stérilisation forcée pour les trans". Bon, libre et gratuit, j'adhère, encore que pour le côté "libre", je me demande bien quels seront les critères pris en considération si jamais ça passe. Parce que le problème c'est qu'on veut tout regrouper sous une même bannière alors qu'on a en gros 3 catégories différentes de personnes transidentitaires et qui n'ont pas les mêmes motivations ni les mêmes buts : les travestis, les transgenres, et les transsexuelles. Qu'on fasse en sorte de faciliter ce changement d'état civil pour les personnes s'étant engagées dans un parcours de changement de sexe (donc les transsexuelles), et que ce changement puisse intervenir bien avant l'opération de réassignation sexuelle, afin d'éviter des situations parfois gênantes, ça je l'entends parfaitement. Il est toujours inconfortable de se faire appeler "monsieur Untel" dans une salle d'attente bondée alors qu'on était venue dans une jolie robe à fleurs, ou bien encore de se faire entendre dire qu'on a dû mal comprendre ce que le médecin a dit quand il voulait qu'on passe une mammographie...et je ne parle même pas de tous les actes de la vie courante, comme le simple fait de présenter une pièce d'identité quand on règle par chèque.

Même si moi je m'en fous un peu et qu'en général je m'en amuse plutôt puisque je l'assume, ça pourrait tout de même être une bonne chose au final pour les autres. Et si les transgenres peuvent l'obtenir également, ça ne m'enlève rien non plus. Tiens, et même que je serais prête à accepter que les travestis puissent avoir deux états civils distincts, suivant qu'ils sont contrôlés à un instant T dans un genre ou dans l'autre, c'est dire à quel point je vois loin. C'est pas comme ça qu'on règlera le problème de la visibilité des trans, puisque finalement ces revendications les cacheront encore plus aux yeux des autres puisqu'il n'y aura que deux options possibles. Exit donc l'entre-deux mais peu importe, on n'est plus à une contradiction près chez nos "porte-paroles", et si ça peut faciliter la vie des filles, après tout pourquoi pas.

En revanche, et là tu vas voir qu'on est au cœur du problème, lorsque j'entends dire "non à la stérilisation forcée des trans", je me demande de quoi on parle. Je laisse de côté ce que je viens d'expliquer plus haut, à savoir qu'une solution "de confort" pour le changement d'état civil avant l'opération de réassignation puisse être justifiée, et je me penche sur ces fameuses trans qui ne veulent plus être stérilisées de force. C'est quoi ce délire ? Sachant que quand tu es transsexuelle, tu vas FATALEMENT devenir stérile, que ce soit avec l'opération ou même le simple traitement hormonal, va falloir qu'on m'explique, ou alors j'exige d'être "remboursée" (au sens premier du terme). Non mais ça va pas la tête ? C'est aussi incongru que quelqu'un ayant un pied qu'il faudrait qu'on ampute car bouffé par la gangrène et qui exigerait qu'on lui laisse son membre...ou alors c'est qu'il n'avait pas la gangrène, faut être logique. Il y aurait donc des trans ne voulant pas être opérées ni même prendre un traitement hormonal qu'on obligerait à devenir stériles rien que pour qu'elles obtiennent un bout de papier à la con ? Et le pire c'est qu'elles le feraient en plus ? Et on parle ensuite de dépathologisation ?

Ben tu vois, et contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là à mon sujet (je n'ai pas que des amies au sein de la "communauté"), je ne suis pas allée faire mon saut de l'Ange à Bangkok pour avoir plus rapidement et plus facilement une bête mention marginale sur mon extrait d'acte de naissance ou encore un passeport au nom de madame. Tiens au fait, en parlant de passeport, il paraît que les trans ne peuvent pas voyager à l'étranger à cause de ça, que vu que leur apparence ne correspond pas à leur identité, tout ça...mon cul ! A part le glandu à Orly qui a voulu faire du zèle et que j'ai remis à sa place, je n'ai jamais été emmerdée pour passer la frontière, il suffit juste que la photo corresponde et basta, et même avec un passeport biométrique. Après tout, c'est la même chose si t'es imberbe alors que sur la photo de ta pièce d'identité tu as une barbe à la ZZ Top. Et pour en revenir à ce que je disais plus haut, c'est sûrement pas la perspective d'un F sur ma carte d'identité qui m'aurait fait faire une telle chose si ça n'avait pas été ce que je voulais. Les transsexuelles se sont fait "vampiriser" par les transgenres...manquerait plus que Conchita Wurst milite pour que les trans gardent la barbe, qui est un attribut tout aussi féminin qu'une bite, comme chacun sait. Qu'il y ait des amateurs de l'entre-deux mondes, je critique pas, et si des transgenres veulent qu'on les appellent "madame" malgré le tuyau de pompe à essence qu'elles ont entre les cuisses, là aussi je m'en cogne, mais que chacune reste dans sa catégorie et n'aille pas demander des trucs au nom des autres. Déjà que les gens ont du mal à bien comprendre toutes les subtilités de la transidentité, alors avec ce genre de revendications c'est pas gagné ; c'est comme le fait d'avoir été placées avec les LGB, alors que les trois premières catégories parlent d'orientation sexuelle qui n'a aucun rapport avec l'identité sexuelle...quoique maintenant c'est un peu comme l'Europe élargie, vu qu'on ne dit déjà plus LGBT mais LGBTQIAH, pour Lesbiennes, Gays, Bis, Trans, Queers, Intersexués, Asexuels et Hétéros, te dire un peu l'auberge espagnole que tout ça est devenu.

Enfin bref, j'en reviens donc à ma grève surprise, et comme d'habitude c'est encore ma puce qui va gérer la crise car j'avoue que mon capital diplomatie est complètement tari, selon le principe des vases communiquant. Elle plaide mon cas face à l'avocate chargée de me représenter, ce qui doit constituer une première en soi, et le plus beau c'est qu'elle remporte l'adhésion du jury et celle du bâtonnier puisque mon affaire passera à titre exceptionnel comme c'était initialement prévu. Quand je disais que sous son apparence fragile elle est capable de porter le Monde, ma petite femme. C'est ainsi que le lendemain nous nous présentons à l'audience, en évitant les médias qui se sont déplacés pour couvrir l'événement (pas mon audience hein, tout le monde s'en fout, mais le mouvement de grève des avocats). On arrive dans la salle du Conseil dans laquelle trois magistrats nous font face, ainsi que le bâtonnier qui va déposer le préavis, deux ou trois avocats, et un couple qui vient pour une adoption. Renvoi d'une dizaine de dossiers à une date ultérieure et puis arrive notre tour.

Le président appelle le demandeur, à savoir moi, en ces termes : "Monsieur Olivier ***, dans le cadre d'une affaire de changement de genre et d'identité" puis il scrute la salle pour voir si je suis là ou pas. Je lève le doigt en disant "c'est moi" et aussitôt il rectifie le tir et me donne du "madame", ce qui augure assez bien la suite des débats. Il me pose les questions classiques sur le pourquoi du comment, si ça se passe bien au boulot (lol), si on a des enfants, un abonnement Canal plus et le gaz à tous les étages. Puis il s'adresse ensuite à mon p'tit sucre, "vu qu'il existe un fort lien matrimonial entre nous" et qu'il voudrait bien savoir si elle est au courant et ce qu'elle en pense. Et là elle se met à expliquer...tout, les années passées, les doutes, les questions, les souffrances, notre couple, les autres, la Vie, du moins la nôtre. Elle, si réservée d'ordinaire, plus rien ne l'arrête à présent, elle parle et parle encore devant ces inconnus revêtus de leurs atours de justice, elle raconte nos 16 ans de vie commune, nos 13 ans de mariage, son amour pour sa Caro dont elle ne peut occulter la vie d'avant, "notre" transition, et puis surtout la perspective de cette nouvelle vie à deux, dans laquelle nous n'aurons plus à nous justifier de quoi que ce soit ni à supporter la bêtise et l'incompréhension des autres, si ce ne sont les regards désapprobateurs à l'encontre de deux femmes ensemble. Bienvenue en 2014.

Moi je la regarde avec les yeux de Chimène tandis qu'elle poursuit sa plaidoirie, bien mieux que l'avocate qui se contente d'énumérer les pièces de mon dossier, le protocole, mon opération, ma reconnaissance officieuse au boulot...tant et si bien qu'à la fin la procureure "outrepasse" le cadre de l'affaire puisqu'elle dit au président : "nous avons là en plus un vrai couple qui s'aime". Ah non hein, pas le moment de lâcher une larme, malgré l'émotion qui me submerge, parce que punaise oui je l'aime ma femme, et elle donc, avec tout ce qu'elle endure et que je lui fais subir, et je pense que plus que tous les certificats, toutes les opérations, tous les protocoles, c'est cet amour dont elle déborde qui aura marqué le plus les juges, et qu'après ça il n'y a plus rien à rajouter. Ou plutôt si, que ma demande est non seulement conforme et fondée mais qu'elle est validée et entérinée par le tribunal, parce qu'il y a encore des gens intelligents et humains dans ce pays, malgré toutes les manifs de la honte et la haine qui est ressortie du bois ces derniers mois. Et ces gens intelligents et humains ont décidé "qu'à compter de ce jour, à 9h30, en lieu et place du présent" ils allaient enfin offrir un avenir à Carolyne Olivia Annie qui ne sera plus un simple "concept" mais une personne réelle avec une existence légale.

Voilà, c'est fait, ça aura duré une vingtaine de minutes, accouchement sans douleur après une gestation de...je préfère penser à autre chose, rien ne doit ternir cette journée. Exit Olivier donc, divorce à l'amiable, séparation de corps et de biens, t'étais un gentil gars mais on ne pouvait plus vivre ensemble, c'était devenu impossible et ça aurait fini par nous détruire. Mais Lyne et moi on t'aimait bien et on ne t'oubliera pas, parce qu'on sait à quel point tu en as chié toutes ces années, on gardera quelques photos parce que ce n'était pas ta faute et que tu ne savais pas où trouver de l'aide, et puis c'est aussi un peu grâce à toi si on a pu se rencontrer toutes les deux, alors rien que pour ça, merci du fond du cœur.

Ciao mon poteau !

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